En ville, qu'ils s'agissent des arbres d'alignement ou dans les parcs, les arbres subissent de nombreuses coupes traumatisantes en étant parfois étêtés, parfois taillés de manière drastique. Le sujet ainsi malmené ressemblant alors plus à un portemanteau-perroquet ou à un totem qu'à l'arbre qu'il était avant. En fait, au-delà de la forme, c'est la survie même de l'arbre dont il est question.
Au cours de sa vie, l'arbre grandit sans cesse. À chaque printemps, la mise en place de son système foliaire et la fabrication de ses nouveaux rameaux et nouvelles racines lui demandent une dépense d'énergie considérable, chaque année plus importante. Une fois cette masse végétale installée, l'arbre va s'appliquer à stocker des réserves dans ses racines, son tronc, ses branches et ses rameaux pour pouvoir répéter ces opérations au printemps suivant. Ces réserves sont également utilisées dans sa lutte contre les agents pathogènes ou pour réparer des dommages physiques (bris de branches par exemple).
La taille drastique provoque pour l'arbre :
1/ la diminution de ses réserves car en enlevant beaucoup de branches, on enlève par la même occasion les réserves stockées dans celles-ci. Ainsi, il a été montré sur le platane que des arbres taillés radicalement avaient un niveau global de réserves de 40 à 60% inférieur à des arbres non taillés et ce, sept années après la coupe des branches,
2/ un affaiblissement physiologique général : comme nous l'avons vu plus haut, l'arbre a besoin de davantage d'énergie au fil des ans pour sa croissance. La taille lui a
enlevé une grande partie de la structure destinée à supporter les feuilles et les jeunes rameaux, lieux privilégiés pour la synthèse chlorophyllienne : avec beaucoup moins de réserves l'arbre va donc devoir reconstituer une plus grande masse végétale qu'avant la taille, d'où son appauvrissement général,
3/ et une augmentation de sa vulnérabilité : Ainsi appauvri, l'arbre taillé est plus sensible à de nouvelles agressions telles que la pollution, le froid ou la sécheresse et moins
résistant face à tout agent pathogène. On classe d'ailleurs ces derniers en agents primaires (capables d'attaquer des arbres sains) et secondaires (attaquant un arbre déjà affaibli). Pour lutter contre l'attaque de tous ces micro-organismes, l'arbre élabore des produits chimiques très "coûteux" à fabriquer : il doit encore utiliser des réserves déjà fortement diminuées.
Ainsi, les tailles drastiques causent de grands désordres dans la vie de l'arbre. Elles sont à l'origine de la mort de parties de l'arbre ou de l'arbre tout entier.
Et, contrairement aux idées reçues, la taille drastique ne provoque pas :
1/ une vigueur nouvelle à un arbre, pas plus qu'elle ne le rajeunit. C'est surtout que le « coup de stress » induit par la taille drastique génère la repousse anarchique de nombreux rejets qui donne l'impression -fausse- de vigueur. L'idée du rajeunissement est entretenue par l'aspect de l'écorce des repousses et leur forme. Ces deux éléments sont en effet identiques sur le tronc d'un jeune arbre et sur les rejets d'un arbre adulte. En vérité, l'arbre utilise toutes ses réserves afin de reconstituer sa capacité à photosynthétiser et donc s'épuise. La succession régulière de périodes pendant lesquelles l'arbre ne peut pas constituer des réserves aboutit immanquablement à sa mort.
2/ une diminution des risques de rupture (liés notamment à la prise au vent). Les tailles sévères entraînent la repousse de très nombreux rejets, ancrés sur un support faible (une grande cavité s'y forme souvent suite à la pourriture de la partie interne du bois après la coupe). Ces rejets se développent très rapidement et portent des feuilles plus larges que celles portées avant par l'arbre. La plus grande surface des feuilles augmente de façon sensible la prise au vent.
Les risques de rupture sont donc plus grands qu'avant la coupe : le support est plus faible et la charge pondérale due à la grande taille des feuilles est plus importante. De plus, des champignons lignivores dégradent le bois interne en fragilisant la structure même de l'arbre, branches maîtresses et tronc. Un arbre en bon état sanitaire ne perd pas facilement ses branches ; mal taillé, il peut devenir dangereux.
3/ une diminution de l'ombre portée. En effet, les rejets repoussant en nombre conduisent à ce que la surface ombragée soit de nouveau la même que celle d'avant la
taille.
4/ une diminution de la hauteur de l'arbre à moyen terme car sur de nombreuses essences, après une taille sévère les rejets croissent particulièrement rapidement et l'arbre retrouve ainsi très vite sa hauteur initiale. Tous ces rejets ne sont pas viables et après quelques saisons de végétation, certains rejets, dominés par de plus vigoureux, finissent par sécher, garnissant chaque touffe de repousses de bois mort.
5/ une économie en terme d'entretien de l'arbre car toute taille radicale, pour les raisons citées plus haut (repousse massive de rejets, pourriture au niveau des sections sur
les branches...) nécessite de restructurer les houppiers et de surveiller les arbres devenus dangereux. Elle devrait chaque fois engager tout gestionnaire des arbres dans un entretien régulier, ce qui est souvent moins économique que de laisser l'arbre vivre sa vie.
Il ne reste donc, à nos yeux, plus aucune raison de tailler sévèrement un arbre. Comme preuve il faut garder à l'esprit qu'en forêt ou isolé au beau milieu d'un pré, les arbres se sont développé depuis des millions d'années bien avant l’apparition de l’espèce humaine, en s'adaptant aux conditions de leur milieu, sans avoir jamais eu besoin d'une taille.
Dans notre région, l'environnement des arbres a beaucoup changé depuis les trente dernières années et certains grands arbres sont placés dans des sites très urbains avec des voisins proches (constructions, routes...) ce qui restreint leur champ de développement. Chaque fois que l'arbre planté est à sa place c'est-à-dire qu'il a suffisamment de volume pour croître harmonieusement, la taille est inutile. La taille est ainsi parfois nécessaire ; mais elle ne doit pas pour autant être systématique. Elle n'est obligatoire que pour des raisons de sécurité, de contraintes de gabarit ou de maintien d'une forme architecturée (tonnelle, rideau, marquise, têtes de chats...). Pour respecter l'arbre, le gestionnaire doit être capable de reconnaître les situations où la taille est inutile, facultative ou obligatoire.
Il est par ailleurs plus agréable d'avoir un seul arbre dans sa forme naturelle qu'un groupe de "totems" dont les silhouettes sont identiques quelle que soit l'essence.
Bibliographie : "La taille des arbres d'ornement". Christophe Drénou. IDF.